Le Logis de la Marche


La commune de la Séguinière a la chance de conserver, de nos jours, des monuments qui ont survécu à la folie destructrice de certains hommes ou aux rigueurs des années.  La  Baillie de la Marche est un des fleurons de cet inventaire. Actuellement, ce modeste manoir est visible lorsqu’on emprunte la rue de la Marche. La cour d’honneur de ce petit ensemble immobilier attire le regard des passants. Le jardin est une vaste pelouse qui borde la rive gauche de la Moine. L’ancien chemin du lavoir donne aujourd’hui  accès  à la passerelle. 

Ce vieux logis, bâti au XVe siècle, tire son nom même de  l’histoire ancienne de notre province. Le mot «Marche» résulte de l'appartenance de la Séguinière aux marches communes Anjou-Poitou avec un statut spécial : la commune dépendait juridiquement de l'Anjou et religieusement du Poitou. La moine (meduana) est la rivière qui sépare. Au XIè siècle, elle séparait le pagus de Mauge qui deviendra les Mauges et le pagus de Tiffauges. On retrouve cette idée dans le nom de Saint André de la Marche.

Il faudra attendre l’arrivée des premiers comtes d’Anjou pour formaliser ce qui deviendra cette Marche  entre l’Anjou et le Poitou. 

On construira le long de ces frontières des fortifications et les comtes d’Anjou placeront des hommes de confiance en raison de la stratégie de ces lieux. La Marche était habitée par un sénéchal  ou bailli, (sénéchal est utilisé dans le sud de la France et bailli dans le nord ; en zone de Marche les deux se disent) ; le sénéchal avait pour fonction principale de rendre la justice de proximité et de prendre les décisions pendant les absences du seigneur. Les premiers sénéchaux de la Marche  exercèrent pour le seigneur, Charles du Plessis; leurs fonctions diminueront jusqu’à devenir un titre honorifique au XVIIème siècle. A la Séguinière s’exerçait le droit de basse, de moyenne et, chose rare pour une petite châtellenie,  de haute justices c'est-à-dire  de condamnation à mort par pendaison. Ceci explique la présence du « chemin des justices » qui conduisait les condamnés jusqu'à la potence. Ce chemin, aujourd'hui aménagé, mène vers les hauteurs de la Séguinière, près du stade.

La Marche fut donc le siège du lit de justice seigneuriale durant 2 siècles. C’est sans doute dans une salle haute du logis que se tenaient les lits de justice ; on y trouve une cheminée monumentale. Ce logis de fonction était accompagné d’une petite borderie agricole dont les bâtiments étaient accolés vers l’est. La demeure principale subira quelques modifications au fil des siècles avec la suppression d’une tour  qui s’éboulait par manque d’entretien. Restaurée en 1983, la baillie possède une nouvelle tour. Lors des travaux on découvrit un boulet  de canon en silex  qui pourrait dater du seul combat connu qui eut lieu à proximité, pendant les guerres de religion.  Le boulet, en mémoire, a été scellé au dessus de l'arc de décharge qui soulage le linteau de la porte de la grande tour.

Le logis de la Marche a vu passer un  personnage important dans la région : le père Louis Marie de Monfort. La baillie n’était pas toujours habitée par le sénéchal qui pouvait avoir un autre logement ce qui explique qu’en 1713,  ce sont deux sœurs De Beauvau-Tigny qui s’y sont installées. Lors de la mission lancée par le curé de l’époque, le curé Keating, ces deux femmes accueilleront le père Louis Marie Grignon de Montfort prédicateur de cette mission. Il parcourt la région se dépensant sans compter et en 1715, il est tellement fatigué qu’elles le supplient de venir passer quelques jours au logis de la Marche pour s’y reposer.

En 1789, il n’y a plus de seigneur, plus de sénéchal ; il n’y a plus de justice locale à rendre ; le logis est vendu en 1797 à un maître potier d’étain de Cholet. Il trouve un manoir  en état très moyen, sans confort et inhabité depuis  plusieurs années.

C’est en 1815 que le nouveau propriétaire va entreprendre des transformations : il va raser l’antique borderie et édifier une vaste grange au bord du chemin qui communiquera avec les étables et un vaste grenier ; le fermier aura pour logement le bâtiment du XVème qui a déjà oublié ses honorables sénéchaux de l’Ancien régime. Ainsi la Marche aura le même sort que d’innombrables manoirs du Poitou, de Bretagne et d’Anjou, elle sera transformée en ferme. Pendant 150 ans, les plaidoiries seront remplacées par les beuglements des veaux.

Pendant l’entre-deux guerres, la Séguinière connaît une urbanisation qui va modifier les abords de l’antique baillie. L’exploitation devient trop  petite pour subsister. Depuis 1982, l’antique logis du XVème a retrouvé une nouvelle jeunesse et sa restauration a permis d’accueillir des résidents.